Tribune

Défendre sa terre : le modèle corse

19 mars 2022
Crédits photo : Bestfor Richard / A Propriano Bien Sur / Flickr
Temps de lecture : 4 minutes

Depuis le 2 mars et la violente agression d’Yvan Colonna, la Corse se soulève. Luttant depuis presque 50 ans pour le droit à disposer de leur île, les militants nationalistes se sont toujours heurtés à l’État français brandissant d’une main l’unité territoriale et de l’autre la souveraineté nationale.

Lorsque le Front de libération nationale corse (FLNC) se créé en 1976 sur les cendres de l’Action régionaliste corse (ARC) d’Edmond Simeoni, son modèle théorique est le FLN algérien. L’organisation considère son île comme un pays colonisé et pauvre qui se bat contre le colonialisme français. Les références anti-impérialistes sont d’ores et déjà présentes le 15 avril 1975 au dernier congrès de l’ARC dans la bouche de Simeoni, citant notamment le Che en exemple. La rhétorique tiers-mondiste a été utile au mouvement pour populariser son combat et l’intégrer à l’élan décolonial de l’après-guerre. Impulsé par sa branche parisienne proche des milieux d’extrême gauche, le discours d’inspiration maoïste ne fait pas l’unanimité au sein du mouvement, politiquement pluriel. Si la publication du premier manifeste du mouvement en 1977, le petit livre vert, est largement contestée au sein de la base militante, il n’en demeure pas moins qu’elle pose les premières bases idéologiques du front fondées sur le principe de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes en question

La Charte des Nations Unies, ratifiée par la France le 31 août 1945, reconnaît explicitement « le principe de l’égalité de droits des peuples et de leurs droits à disposer d’eux-mêmes » (article 1-2). Affirmé formellement par les révolutions américaines et françaises, ce principe a joué un rôle primordial au 19e siècle dans la formation des nations occidentales. Les différentes résolutions de l’ONU à ce sujet ont dégagé trois situations dans lesquelles ce principe peut être revendiqué par les peuples : le peuple doit subir une domination coloniale, un apartheid ou une domination étrangère. Néanmoins, cette revendication peut se heurter à la nécessité pour l’État de défendre l’intégrité de son territoire. Ainsi, le gouvernement espagnol a lourdement réprimé la proclamation de la République catalane en 2017 et le président turc Erdogan a engagé des manœuvres militaires en 2018 pour ne pas favoriser la constitution d’un État autonome kurde au Nord-ouest de la Syrie. A contrario, ils auraient pu opter pour l’autodétermination et faire primer le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes comme durant la plupart des processus décoloniaux. Sans repères clairs pour trancher l’opposition entre deux principes de droit légitimes qui s’opposent, le sujet doit être abordé in concreto : est-ce que des particularismes locaux, des traditions séculaires, une langue ou une identité affirmée suffisent à contraindre politiquement un état au fractionnement d’une partie de son territoire ?

Banalement, les grands principes philosophiques s’arrêtent quand la politique commence. L’exécutif français a toujours cru bon de confier le dossier corse au ministère de l’Intérieur : de Michel Poniatowski, l’ancien membre des troupes de choc adepte de la force dès les événements d’Aléria en 1975, à Gaston Defferre, artisan des premières avancées, en passant par le clivant Charles Pasqua, hué en 1897 lors de son retour sur ses terres natales, jusqu’à Nicolas Sarkozy bafouant la présomption d’innocence et qualifiant Yvan Colonna d’ « assassin » avant son jugement définitif. Pendant bientôt 50 ans, chaque ministre a imprimé sa marque, de la tolérance à la complète inflexibilité. Généralement, les grandes décisions se sont décidées au gré des échéances électorales et des intérêts partisans, les manœuvres récentes du gouvernement en témoigne une nouvelle fois. Quand il a été nécessaire de comprendre la Corse et d’entendre son peuple, l’État français a encouragé les divisions internes au mouvement nationaliste et a instrumentalisé les faits divers pour promouvoir des pseudos « coups de force » sécuritaires. Autant d’errements qui pourrait inciter le front à reprendre le chemin des « nuits combattantes ». Si le temps politique est sûrement à l’autonomie de l’île, le temps intellectuel est à la reconnaissance par le continent de l’inspiration offerte par le combat corse.

Une partie du peuple corse rejette son appartenance à la communauté nationale. Ayant subi depuis l’entrée dans le giron français « par droit de conquête » en 1768, maintes offenses de la part de l’État, ce ras-le-bol est compris. Pourtant, une partie du peuple français exhorte la Corse à rester française. Au risque de déplaire aux partisans des « I Francesi Fora » (les français dehors), une partie des continentaux sont fiers des valeurs qui fondent le combat de la Corse. La France va bientôt manquer de ceux pour qui la défense de son identité, de sa terre, de sa langue et de sa culture sont essentiels. La France réclame des hommes et des femmes d’honneur, de confiance et de volonté. Si vous n’avez pas besoin de la France, la France a besoin de vous. Nous implorons que vous nous réappreniez, à l’image de votre fierté d’être ce que vous être, à redevenir fiers de ce que nous sommes. Pour une patrie qui semble parfois oublier son passé, la France est cernée de cultures qui ont lutté chacune à leur manière pour perpétuer leur enracinement et faire survivre leur tradition par les langues et les chants. Laissons les considérations économiques de la dépendance corse au continent : spirituellement, la France a besoin de la Corse.

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