Politique

Des 6 aux 28 : le choc des Europes

9 décembre 2021
Temps de lecture : 4 minutes

« Lui, c’est l’homme de la mondialisation heureuse », déclarait Eric Zemmour au sujet d’Emmanuel Macron, le 6 octobre dernier. « C’est l’homme qui pense qu’il ne faut pas fermer les frontières, qu’il n’y a pas de problème d’immigration ou plutôt que ça va passer, qu’il n’y a pas de culture française, qui pense que la colonisation est un crime contre l’humanité », enchérissait-il alors, l’accusant de vouloir « dissoudre la France dans l’Europe et dans l’Afrique. »

Ce jeudi 9 décembre, le président de la République dévoilera ses grandes priorités européennes à l’orée de la campagne présidentielle et du Conseil de l’Union européenne (PFUE), qui démarrera le 1er janvier 2022. Il faut « construire une Europe qui pourra choisir pour elle-même, choisir avec qui coopérer, avec qui rompre« , a-t-il déjà esquissé lors de son intervention pour les vingt-cinq ans de l’Institut Jacques Delors, lundi dernier. L’un rêve d’une France souveraine, l’autre, d’une Union européenne puissante.

Au cours de cette conférence de presse, Emmanuel Macron devrait entre autres évoquer la réforme des accords de Schengen, l’avancée du « paquet climat » avec la taxation carbone et la reconstruction du traité de paix et d’amitié avec l’Afrique sous l’égide de l’UE.

Les Français et l’Europe

« Les Français sont deux fois plus nombreux (32% contre 15%) à considérer que présider l’UE sera un atout plutôt qu’un handicap pour Emmanuel Macron », indique une enquête Odoxa-Backbone Consulting pour Le Figaro. Mais selon l’Intitut Jacques Delors, la France fait aujourd’hui partie « du groupe des pays dont les habitants sont les moins favorables à l’UE ». En somme, tandis que 53% des Français sont attachés à l’Europe, 57% des Français estiment que l’Union européenne est « éloignée » et 65% pensent qu’elle n’est pas « efficace » contre 49% pour l’ensemble des opinions des pays membres. Pour l’Institut, toutefois, cet euroscepticisme s’expliquerait principalement par une « méconnaissance de l’UE ».

Cette défiance s’exprime également par une hostilité au libéralisme : pour 40% des Français, le libéralisme est associé à quelque chose de négatif, et pour 30% des Français, le libre-échange évoque quelque chose de négatif (en dernière position parmi les pays étudiés).

L’Europe du général de Gaulle

La conception de l’Union européenne du général de Gaulle est claire : construire une Europe confédérale, c’est à dire une Europe des nations qui y conserveraient leur souveraineté. Il plaide ainsi pour une Europe réduite (six pays, France, Allemagne, Italie, Bénélux) et indépendante des Blocs, excluant à deux reprises la candidature anglaise au Marché commun (1963 et 1967), en partie parce qu’il y voit le « Cheval de Troie » des États-Unis.

D’autre part, et c’est là son principal combat, il plaide auprès de ses partenaires pour une Europe des Nations au sein de laquelle la part de supranationalité serait limitée : c’est le sens du traité de l’Élysée, le 20 janvier 1963, qui crée le « couple franco-allemand », mais également des deux plans Fouchet (1961 et 1962). Sur la question de la supranationalité, De Gaulle n’hésite pas à entrer en conflit avec ses partenaires : refusant un vote à la majorité qualifiée sur des questions qu’il estime relever de la souveraineté nationale, il en vient à pratiquer la politique de la « chaise vide » lors des réunions européennes, pour parvenir au compromis de Luxembourg qui laisse le droit de veto à tout pays estimant que ses intérêts vitaux sont menacés par une directive communautaire.

L’Europe d’Emmanuel Macron

Alors que le président de la République doit s’exprimer ce jeudi à 16h, sur les futurs enjeux européens, trois points ont déjà été annoncés : « Relance, puissance, appartenance. » 

Après avoir cité « la nécessité de relance en réponse à la crise », le chef de l’État a longuement défendu « la nécessité d’assumer cette Europe et de la dire toujours notre ». Il a ensuite appelé à consolider « une Europe qui pourra faire ses propres choix, militaires, technologiques, culturels, de valeurs ». Et d’ajouter : « Nous avons des débats provinciaux, là où les vrais sujets sont de savoir ce que nous voulons devenir par rapport au modèle chinois, au modèle américain. » 

La vaccination des Européens est le meilleur exemple de l’efficacité de l’Europe, a-t-il martelé : « Soyez nationalistes, vous Hongrois, soyez nationalistes polonais ou français, vous ne seriez pas vaccinés, ou imparfaitement. Peut-être que vous auriez eu vos amis russes pour vous donner le [vaccin] Spoutnik qui n’est toujours pas homologué par l’OMS ? Bon courage !« 

Le 26 septembre 2017, Emmanuel Macron déclarait ceci : « Nous ne pouvons pas nous permettre de garder les mêmes habitudes, les mêmes politiques, le même vocabulaire et les mêmes budgets (…) La voie du repli national serait un naufrage collectif (…) La seule voie qui assure notre avenir, c’est la refondation d’une Europe souveraine, unie et démocratique. » Avant d’ajouter : « Vous n’avez qu’un choix simple, celui de laisser un peu plus de place à chaque élection aux nationalistes, à ceux qui détestent l’Europe et, dans cinq ans, dans dix ans, dans quinze ans, ils seront là. Nous les avons déjà vus gagner ici ! Ou vous avez le choix de prendre vos responsabilités, partout, et de vouloir cette Europe en prenant tous les risques, chacun dans nos pays (…). »

    Merci, Maud, de cet excellent article qui pose très clairement les données du problème.

    Comment, dans leur grande majorité, les Français pourraient-ils se reconnaître dans cette UE si éloignée de leurs préoccupations, si peu incarnée, sans la moindre identité ?
    La monnaie que nous utilisons offre l’image la plus caricaturale qui soit du défaut d’identité de l’UE. Examinez les billets que nous avons dans notre portefeuille : nous ne sommes nulle part, aucun monument ou bâtiment représenté ne correspondant à rien ! Pour voir, comparez-les avec nos bons vieux billets en francs !
    Comment pourrions-nous aimer ce monstre froid, ces technocrates qui régentent tout ?

    Identité et sentiment d’appartenance ?

    Qui d’entre nous serait prêt à mourir pour l’idée européenne ? Personne, sauf quelques doux illuminés…

    Impossible à ce sujet de ne pas rappeler ce que le général de Gaulle avait déclaré le 15 mai 1962, lors d’une conférence de presse :
    « Je ne crois pas que l’Europe puisse avoir aucune réalité vivante si elle ne comporte pas la France avec ses Français, l’Allemagne avec ses Allemands, l’Italie avec ses Italiens, etc. Dante, Goethe, Chateaubriand appartiennent à toute l’Europe, dans la mesure même où ils étaient respectivement et éminemment Italien, Allemand et Français. Ils n’auraient pas beaucoup servi l’Europe s’ils avaient été des apatrides et qu’ils avaient pensé et écrit en quelque espéranto volapük intégré… ».

    Du même Charles de Gaulle, toujours en 1965 :
    « On le sait (…) qu’il y a des conceptions différentes au sujet d’une fédération européenne dans laquelle (…) les pays perdraient leur nationalité nationale et faute d’un fédérateur (…) la fédération européenne serait régie par un aréopage technocratique, apatride et irresponsable. »
    Quelle prescience de ce qui allait arriver et que nous subissons, pour notre malheur

    Et l’Allemagne ? me rétorquera-t-on. L’Allemagne a une histoire – récente quant à sa construction en tant que pays – sans comparaison aucune avec la nôtre – plus de quinze siècles d’une édification continue -, et a donc toutes les raisons du monde de se sentir infiniment plus européenne que la France. D’ailleurs et nous Français, le constatons amèrement depuis des lustres, l’UE est d’abord l’UE allemande, l’Euro n’est rien d’autre ou presque que le Mark sous un autre nom. Quant au couple franco-allemand dont on nous rebat les oreilles, disons qu’il est une incantation, un mantra, plus qu’une réalité, tant le déséquilibre au bénéfice de l’Allemagne est abyssal.

    L’Europe d’Emmanuel Macron ?

    Hier le chef de l’État a dressé un inventaire à la Prévert, nous infligeant une série impressionnante de lieux communs, de formules creuses et de chimères battues et rebattues depuis des lustres.

    Au choix :
    Le principe fondateur ? « Une Europe puissante, souveraine, libre de ses choix »… Un peu dans l’esprit du « Demain on rase gratis » du coiffeur, tant on a entendu cette antienne…
    L’exorde ? « un moment historique car il est rare » (…) « Un rôle qui consiste à pousser nos priorités et à être les dépositaires d’une forme d’harmonie »… ???
    L’immigration ? Macron veut « une Europe capable de maîtriser ses frontières »…
    La sécurité ? Il faut « réorganiser la politique de défense, définir une stratégie commune »… On nous a seriné ça dix fois, vingt fois ! Comme on dit, on reconnaît l’arbre à ses fruits…
    La croissance ? Durant la présidence française, « définir ce que sera l’Europe de 2030, imaginer un nouveau modèle européen. Une Europe où l’on puisse produire et qui défend son modèle social » – où est le modèle social européen ???

    Pour conclure, redevenons sérieux et laissons la parole au général de Gaulle :

    « Si grand que soit le verre que l’on nous tend du dehors, nous préférons boire dans le nôtre, tout en trinquant aux alentours. »

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