Culture

Illusions perdues : les journalistes, tous pourris ?

13 décembre 2021
Temps de lecture : 3 minutes

« Tout est pourri partout, il faut se battre pour faire de belles choses… » N’allez pas croire que le journalisme ne brasse que de misérables gratteurs de chéquiers, de plumes acerbes taillées dans l’os d’un confrère sans talent, de rats de salons dorés, de syndicalistes analphabètes, de poètes maudits, d’aigrefins reconvertis, de stagiaires torturés, de censeurs, d’insensibles et d’insensés, et autres chantres de cette éternelle déontologie chassée par la satire (ça rapporte).

Non, les trafics d’intérêts, les réseaux d’influence, la corruption, le chantage, la manipulation, le mensonge, le compromis et la calomnie ne gangrènent pas systématiquement les rédactions parisiennes. Non, les journalistes ne sont pas toujours formés à l’école du mépris, pas plus qu’ils ne sortiraient tous de celle du mérite. La profession n’échappe pas à ses ingratitudes, mais elle ne s’y résume pas non plus.

Pourtant… Combien furent-ils, ces rêveurs, ces naïfs, ces curieux, portant un regard neuf sur le monde, aspirant à faire triompher la vérité, à vaincre la rumeur d’un revers de plume… Combien furent-ils à courir après ces Illusions perdues, vendues aux plus offrants, travesties en billets, en renoncements et en débauches ?

Tout s’achète. D’une critique littéraire à l’âme d’un poète incrédule. Et dans cette formidable adaptation de l’œuvre de Balzac, le narrateur nous conduit à l’abîme, au naufrage spirituel, professionnel et sentimental d’un jeune homme ravagé par la corruption, victime de la guerre des opinions et tiraillé entre deux notions vertigineuses : la sincérité et la vérité.

C’est alors que s’imposent les questions grinçantes de loyauté (envers ses lecteurs), de constance (dans ses convictions) et, inévitablement, d’honnêteté (envers soi-même)… Peut-on objectivement être libre et journaliste à la fois ? Peut-on choisir d’informer le lecteur sans sombrer dans la flatterie des opinions ? Ne vaut-il mieux pas souffrir de lutter contre la corruption plutôt que de souffrir en succombant à toute sorte d’influence ? Peut-on échapper au destin de gratte-papier de rentier et s’enchaîner à son devoir de journaliste ?

Sous la plume de Balzac, un bon journaliste moderne est un journaliste craint, un polémiste sans nuance, une sorte de bourreau lettré. Pour lui, « le journaliste est une pensée en marche comme un soldat en guerre ». Mais pour celui qui ne cesse de s’émerveiller d’une rencontre marginale ou d’un regard plus informateur qu’une dépêche AFP, exercer le métier de journaliste devient un devoir. Pour tout confrère attaché aux valeurs fondamentales du journalisme de tout temps, les mots d’Albert Londres, grand reporter, raisonnent comme une indispensable et rigoureuse ligne de conduite : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie… »

Le film s’achève avec ces mots puisés au fond d’un déjà vieil encrier : « Je pense à ceux qui doivent trouver en eux quelque chose après le désenchantement. »

    Un article de très grande cuvée…

    Mille bravos et mercis, Maud !

    Remarque liminaire : je vais courir voir le film, tant ce que tu en écris y incite.
    Tout semble s’être assemblé autour de son berceau : adaptation fidèle mais non servile du roman de Balzac, scénario, réalisateur, acteurs, reconstitution de l’époque (pour cette dernière, comme une réminiscence du chef d’œuvre de Marcel Carné, « Les Enfants du Paradis » – à mes yeux, le plus grand film de l’histoire du cinéma français)…

    Ensuite, ta réflexion sur le métier de journaliste est d’une profondeur, d’une lucidité, d’une honnêteté, et d’un brio formel exceptionnels.

    Ce beau métier, chez toi une vocation et un sacerdoce, méritait ton regard clairvoyant, intègre, franc et loyal.

    La référence à Albert Londres s’imposait d’évidence… Sois donc remerciée de nous avoir offert cette citation (sur le sujet, elle est définitive…) en entier !

    Pour conclure une autre citation, d’un monument de la littérature celle -ci :

    “Un journal, c’est la conscience d’une nation.” (Albert Camus)

    Belle critique que j’ai été étonnée de ne pas lire avant, j’ai vu le film, il est excellent, il donne envie de relire Balzac, il est tellement d’actualité, à une époque où l’on découvre que la presse manque totalement d’objectivité, qu’elle tente de nous orienter, de nous manipuler. Sans parler des qualités cinématographiques de ce film. A voir absolument.

    Merci pour cet excellent article.
    Et plus généralement, félicitation pour votre excellent média, qui même s’il est clairement orienté à droite, fournit des arguments construits et fait preuve d’une réelle objectivité.

    Rafraichissant et rassurant.

    Je vous souhaite de rester fort face à la violence et l’avilissement. La France a cruellement besoin de vous.

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