Tribune

La présidentielle et les 500 signatures : à l’aube d’un scandale démocratique ?

8 février 2022
Crédits photo : Arnaud Jaegers / Unsplash
Temps de lecture : 5 minutes

« Il est même possible que je n’obtienne pas les parrainages tant le système est fait pour protéger les grands partis », c’est par ces mots qu’Éric Zemmour, candidat Reconquête à l’élection présidentielle, a appelé les maires à le parrainer pour lui permettre d’atteindre les 500 parrainages nécessaires à sa candidature.

A l’heure où la quête des signatures bat son plein, Marine Le Pen, Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon souhaitent l’anonymisation des soutiens. En effet, les trois candidats – qui ensemble totalisent près de la moitié des intentions de votes – restent susceptibles de ne pas pouvoir se présenter.

Quelle est l’origine de cette loi organique qui vient rythmer la campagne présidentielle ? Comme le note le Conseil constitutionnel sur son site, c’est « lorsque fut instaurée l’élection du Président de la République au suffrage universel direct » que ce « filtrage » fut décidé avec pour objectif de « prévenir les candidatures fantaisistes ». C’est donc pour cela que cette mesure a été pensée puis mise en place : prévenir les candidatures fantaisistes.

La fin de l’anonymat

Pour la première élection présidentielle au suffrage universel, en 1965, les règles, fixées par la loi du 6 novembre 1962, étaient moins strictes. Il suffisait d’avoir le parrainage de cent élus pour concourir. Puis, c’est pour stopper la multiplication de candidatures et éliminer les plus « fantaisistes » que la loi organique du 18 juin 1976 va porter le nombre de signatures à 500. Plus encore, afin d’éviter les candidatures liées à la défense d’intérêts purement locaux, la loi du 6 novembre 1962 prévoit une clause de représentativité nationale. Ainsi, les parrainages doivent émaner d’élus d’au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer différents, sans dépasser un dixième, soit 50 pour un même département ou une même collectivité. Si on parle de « signatures de maires », la liste des élus habilités à donner leur parrainage est bien plus longue. Il s’agit de l’intégralité des députés, sénateurs et eurodéputés, des présidents des organes délibérants des métropoles, des communautés urbaines, des communautés d’agglomération, des présidents des communautés de communes, mais aussi des conseillers de Paris et de Lyon, entre autres exemples. Au total, ils étaient au nombre de 42.000 élus en 2017. Lors des trois premières élections présidentielles au suffrage universel direct (1965, 1969 et 1974), le parrainage de 100 élus était exigé avant qu’une réforme adoptée en 1976 (loi organique du
18 juin 1976) porte le nombre de signatures à 500.

Officiellement, le délai de recueil des signatures ne dure que quatre semaines. Ils peuvent donc rassembler les précieux paraphes depuis le 27 janvier et ce jusqu’au 4 mars à 18 h. Mais le recueil des signatures est si difficile pour les candidats en dehors des partis traditionnels, que la course aux paraphes s’ouvre bien avant les délais légaux. Certains parrains potentiels sont parfois sollicités un an avant l’élection. En 2017, environ 34% des élus habilités ont effectivement parrainé une candidate ou un candidat (contre environ 36% en 2012). Dans près de trois-quarts des cas, il s’agissait d’élus communaux et intercommunaux. Mais alors comment éviter la manipulation de l’élection par les grands partis ? Il est aisé pour les grands partis de propulser des candidats ou au contraire, d’en boycotter. C’est la
difficulté à laquelle sont confrontés de nombreux candidats, obligé d’accourir à l’obtention de chaque parrainage, souvent au prix d’un travail relationnel de plusieurs mois et de milliers de déplacements générant de nombreux frais financiers. Pour cause, en plus de pouvoir dicter des consignes de parrainages à ses élus, il est désormais possible pour les grands partis de surveiller vers qui se dirigent leurs signatures. Depuis l’élection présidentielle de 2017, la publicité des noms et de la qualité des élus qui ont présenté un candidat est intégrale à l’issue du recueil des parrainages et a lieu en continu au fur et à mesure de la réception des parrainages. La liste actualisée en temps réel des parrainages étant publiée sur le site internet du Conseil constitutionnel : la pression est permanente.

Le système des 500 parrainages fait légitimement l’objet de débats récurrents. Il lui est notamment reproché son incapacité à faire une place à des candidats populaires, mais hors système ; son caractère anachronique depuis l’instauration de l’élection du président de la République au suffrage universel direct ; le risque de voir certains élus marchander leur soutien ; les pressions exercées sur les maires des plus petites communes. Une des solutions envisageables est alors la mise en place d’un parrainage citoyen. Un tel système s’imagine avec pour seuls candidats ceux ayant recueilli un seuil minimum de 150 000 parrainages de citoyens. Cette idée apparaît comme une solution mais d’autres existent, comme l’anonymisation des soutiens, proposition souhaitée par de nombreux candidats.
Pour preuve de la mainmise des partis traditionnels sur la répartition des signatures : En 2017, on dénombrait 14 296 parrainages, représentant 34 % des élus habilités : François Fillon (LR) arrivant nettement en tête avec 3 635 parrainages, en second on retrouvait Benoît Hamon (PS) et ses 2 039 parrainages alors qu’il ne finira qu’à 6.3% au premier tour et Emmanuel Macron, qui bénéficiait du soutien d’un grand nombre d’élus PS, Modem et LR, récoltera 1 829 parrainages.

Pour l’heure, il semblerait qu’Anne Hidalgo, Valérie Pécresse et Emmanuel Macron soient les seuls déjà en mesure de totaliser les 500 parrainages. Est-ce que l’élection présidentielle de 2022 sera celle du déni démocratique ? Celle voyant des candidats plébiscités ne pouvant pas se présenter ? Celle d’une abstention record et d’un pays toujours plus divisé ? C’est un risque si l’électeur et la démocratie n’ont pas le fin mot de l’histoire.

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