Société

L’appel de la forêt

26 novembre 2021
Crédits photo : Thomas Bresson / Flickr Creative Commons
Temps de lecture : 8 minutes

« J’ai la nostalgie d’une de ces vieilles routes sinueuses et inhabitées qui mènent hors des villes… une route qui conduit aux confins de la terre… où l’esprit est libre… »

H.D. Thoreau

Un grand renversement dont l’Histoire a le secret est en cours. Nous vivons la fin de l’attraction formidable de la ville, entamée dès la fin du moyen-âge, et qui semblait irréversible. Paris, très en avance en matière de conditions de vie épouvantables, a d’ailleurs connu, la première, une baisse importante de sa population : elle compte précisément 600 000 habitants de moins qu’en 1962. La chute, après une phase de stabilisation, s’est accélérée d’après le dernier recensement de 2016, et les prévisions sont pessimistes avec 12 000 habitants perdus chaque année. Taux de fécondité pitoyable, diminution massive des enfants scolarisés, la capitale s’étiole. A quand l’installation, par Mme Hidalgo, de déambulateurs connectés en libre-service dans ce grand EHPAD de privilégiés ?

« C’est assez dit le Rustique ; demain vous viendrez chez moi !« 

Le rat des champs de la fable a été entendu : la ville n’attire plus. Elle repousse même. Celle dont l’étymologie nous ramène, espièglement, à la « villa » romaine, soit la maison de… campagne, ne fait plus rêver les midinettes ni les Rastignac. Nous parlons des pays développés bien entendu, car au niveau mondial, nous venons à peine, en 2008, de passer le cap des 50% d’urbains : la France a passé ce seuil en 1931, chacun son rythme. Mais chez nous, le processus d’urbanisation s’est considérablement ralenti depuis la fin des années 1960 et il est à l’arrêt depuis dix ans. Sans l’immigration massive, qui s’installe majoritairement en zone urbaine, la décrue des villes serait même statistiquement visible. Avec 80% d’urbains, la route est longue avant de retrouver un maillage de pays plus équilibré, mais nous ne devons surtout pas passer à côté de cette révolution. Les écrivains ne s’y sont pas trompés qui ont toujours accompagné les grandes mutations de la ville : le flâneur Louis Sébastien Mercier nous promène avec la légèreté de son siècle, Balzac joue l’initié et le guide virgilien dans Ferragus, Aragon pleure la destruction des passages dans son Paysan de Paris… Italo Calvino avait, en 1963, l’un des premier, exprimé le dégoût de la ville moderne avec Marcovaldo.  Et Sérotonine, le dernier roman de Houellebecq, met en scène un fuyard urbain, Labrouste, qui tente de se raccrocher aux landes du Cotentin…

Pourquoi ce désamour de la ville ?

Il y a des raisons qui tombent sous le sens, comme l’explosion du prix de l’immobilier. Mais il ne faut pas s’arrêter simplement à cette hausse, qui ne dit rien en soi. Elle est gênante car elle n’est pas du tout corrélée à l’évolution des revenus. Sur l’ensemble du territoire, entre 2000 et 2010, le prix des logements a augmenté de 107%, pendant que sur la même période, les revenus n’ont augmenté que de 25%. C’est un écart jamais atteint depuis la crise des années 1930. Nous redevenons un pays de rentiers, où l’accès au patrimoine est devenu difficilement accessible par les seuls revenus du travail. Il s’agit dans ce cas d’un exode urbain, d’une fuite par défaut, pour les ménages qui n’ont pas les moyens d’accéder à la propriété. Sans parler de la location, très difficile dans les métropoles, où vous devez fournir des dossiers plus épais et indigestes qu’un discours macronien.

La qualité de vie accélère aussi l’exil. Payer cher pour un lieu propre à la vie culturelle brillante, éventuellement, mais les grandes villes sont sales, on ne peut plus s’y garer ce qui est problématique pour une famille avec enfants, et l’insécurité galope. Nantes ou Bordeaux sont sous la coupe (gorge) des mineurs isolés clandestins, le centre de Lyon est transformé chaque nuit en enfer par les racailles, et à Paris, les zombies défoncés au cracks se répandent jusqu’aux quartiers bourgeois. Les murs végétaux – trois fougères faméliques – crèvent pendant que l’on coupe des arbres et que l’on démolit les derniers vestiges de l’habitat ouvrier qui ont eu le malheur de ne pas dépasser 4 étages. Bref, de la Ville Lumière à la ville cimetière…

Alors, quand on peut s’acheter une longère dans le Perche au prix d’un studio parisien, cela donne à réfléchir. Surtout quand il ne reste plus, pour faire pencher la balance côté ville qu’une vie culturelle constituée de conférences sur la discrimination des transsexuels racisés atteints de nanisme ou de séances d’un cinéma médiocre et dégoulinant de moraline à 13 euros la place…

Parmi les raisons de fuir la ville, il y en a une inavouée : c’est le changement radical de population que l’on y observe. L’être humain voisine avec ce qui lui ressemble, c’est peut-être regrettable, mais c’est ainsi. La ghettoïsation ethnique est de plus en plus forte, et elle concerne toutes les communautés. Une partie des exilés rejoint tout simplement les terres où elle se sent à nouveau « chez elle », de la même manière que les personnes d’origine immigrée se regroupent en fonction de leurs affinités culturelles.

Enfin, il n’y a pas que des raisons de fuir, il y a aussi des déménagements guidés par l’espérance et l’envie d’une vie plus proche de la Nature. La France est un peuple de paysans, et le vieil atavisme resurgit sans doute. Certes, ces installations sont plus souvent le fait de cadres, de personnes qui ont des revenus suffisants pour assumer la « mobilité », ce mantra « progressiste » réservé aux gagnants de la mondialisation. Mais il faut bien une minorité pour changer le monde, et nous devons nous réjouir que des familles choisissent un mode de vie plus sobre, loin des délires consuméristes, une vie plus lente, respectueuse des rythmes de la Création. On ne peut imaginer que l’on puisse cultiver son jardin sans vouloir le défendre : les déracinés qui retrouvent la terre renoueront avec une forme de patriotisme dans les années à venir. Derrière ces nouveaux pionniers, on peut espérer la remise en question d’un système infernal, fondé sur le libre-échange de tout et de tous.

La crise sanitaire a donné un écho gigantesque à ce sourd « appel de la forêt« 

En 2019, 57% des urbains voulaient quitter la ville, dont 65% des moins de 35 ans (IFOP avril 2019). Qu’en serait-il aujourd’hui ? Les études réalisées depuis le premier confinement, qui ont vu 200 à 300 000 parisiens quitter leur région, montrent une forte augmentation du nombre d’habitants de métropoles qui souhaitent quitter leur ville, c’est-à-dire bien souvent, leur clapier. Le double confinement a renforcé la volonté de changer de vie de nombreux Français. Les agences immobilières de tous les départements limitrophes aux grandes agglomérations croulent sous les demandes.

Le confinement était l’occasion de se regarder en face. Dans une société qui hait l’ennui, il a bien fallu ouvrir les yeux sur l’exigüité des logements, l’absurdité du travail de bureau, la pollution sonore perpétuelle des villes. Et l’on s’est passionné pour la transparence de l’eau de la lagune de Venise, et la trille d’une mésange charbonnière au coin de sa fenêtre. Côté face : les divorces ont fortement augmenté. Côté pile : les « Tanguy » – ces célibataires fiers de leur statut – ont réalisé leur solitude.

L’autre modification majeure, c’est le développement massif du télétravail dans la plupart des grands groupes, ainsi que dans les petites structures où l’on peut facilement surveiller l’accomplissement des tâches. Début novembre 2020, 45% des salariés du privé étaient en télétravail, et 40% du secteur public (en ôtant les Armées, la Police et l’Education). Et le confinement n’explique pas tout, car nous assistons à un renversement structurel : en septembre 2020 – hors confinement donc – 30% des salariés bénéficiaient du télétravail. Tout n’est pas rose dans ce nouveau monde sans open space : dérives en matière de surveillance de la vie privée par les patrons, désocialisation des personnes fragiles ou à mobilité réduite, frontière qui peut devenir floue entre travail et vie de famille, accélération de la ghettoïsation sociale… Mais cela ne semble pas suffire à dégoûter les Français. Ils sont 84% à souhaiter que le travail à domicile se poursuive après la crise.

Réjouissons-nous car la ville moderne, c’est la mort du conservatisme. Le retour à la Province, et mieux, à la terre, est une grande espérance politique. Quitter la métropole, c’est fragiliser le cœur nucléaire du système progressiste, c’est retrouver le réel, notre meilleur allié.

Le terroir contre les territoires, la personne contre les monades

La grande migration intérieure doit cependant être accompagnée. Avec un discours écologique fort tout d’abord ! La population n’augmente que de 0,5% par an, les surfaces bétonnées, de 3%. 60 000 hectares sont artificialisés chaque année en moyenne. Entre les mal nommées « Zones Artisanales », pavillons, parking, ronds-points, éoliennes, c’est la France qui disparaît, ce sont nos terroirs qui sombrent. Un « territoire », ce terme de fonctionnaire libéral, est interchangeable, modulable, sans âme et sans Histoire. Comment distinguer si vous êtes dans la ZAC Nord de Châtellerault ou celle de Montélimar ? On doit cesser de développer ces marécages bétonnés, comme on doit mettre fin aux pavillons, ces tours horizontales. Il n’y aura pas de redistribution démographiques sans un accompagnement de l’Etat. Sans le plan Littoral, nos côtes seraient aussi saccagées que les plages andalouses. Nous avons besoin d’un Etat stratège capable de réorienter les budgets perdus de la politique de la Ville et ceux de l’Ecologie vers un nouvel aménagement de notre urbanisation. Marion Maréchal avait ainsi proposé « une France des 100 villes ». Cela ne se fera pas sans orientation stratégique ni fermeté des institutions. Cela suppose un moratoire sur l’installation des grandes surfaces, une réouverture des petites lignes ferroviaires, le développement massif du fret autre que routier, la prise en compte des réalités économiques, le soutien à la restauration des bâtiments anciens, à l’agriculture et ses nouvelles pratiques comme l’agroforesterie, la lutte contre l’obsolescence programmée, et bien entendu, une politique volontaire de réindustrialisation. Sans oublier l’homme au cœur de son environnement qui doit pouvoir accéder aux mêmes soins médicaux, choisir d’éduquer ses enfants à son domicile, pouvoir protéger sa famille des pollutions au sens large, des particules fines aux dragues lourdes. Tout un programme écologique national et conservateur qu’il est indispensable de constituer d’ici 2022.

    Tout en sachant que les terroirs vont évoluer sous l’effet du changement climatique, je pense aux vignobles et (justement) aux forêts. Coteaux de la Laïta, future AOP ?

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