Immigration

Le funeste théâtre de Melilla

27 juin 2022
Temps de lecture : 4 minutes

Le 24 juin dernier, plusieurs milliers de migrants subsahariens ont tenté de franchir l’enclave espagnole de Melilla pour rejoindre ce qu’ils croient être l’Eldorado européen. Ces intrusions clandestines, fréquentes et de plus en plus massives, n’ont jamais autant provoqué de heurt que vendredi dernier. Selon les premières estimations, 23 migrants ont perdu la vie et 140 policiers ont été blessés.

La frontière ibéro-marocaine a offert aux yeux du monde le sombre diagnostic de la réalité migratoire. Cette enclave espagnole située sur le littoral marocain est depuis une dizaine d’année le corridor privilégié des clandestins pour obtenir des visas de circulations dans l’espace Schengen.

Le fil des évènements

Les images sont dignes d’un block-buster américain. Déboulant des hauteurs du poste-frontière « Chinatown », des milliers de jeunes hommes foncent vers les zones civiles, observés de loin par les forces de l’ordres marocaines et espagnoles. Cette frontière, particulière par sa géographie sinueuse et sa taille résiduelle, est gardée par l’action conjointe des deux royaumes.

Parfois armés de bâtons et couteau, les migrants auraient fait preuve de « méthodes très violentes », souligne une source des autorités de la province de Nador. Celle-ci ajoute que le décès des 23 migrants résulte de « bousculade et de chute du haut de la clôture de fer ». La préfecture de Melilla résume quant à elle la situation : « Un groupe très important de personnes venant de pays d’Afrique, parfaitement organisé et violent, a forcé l’entrée et cassé la porte d’accès du contrôle aux frontières ».  A ce regrettable bilan, il faut ajouter 140 membres des forces de l’ordre qui ont été blessés au fil de la gestion de l’émeute.

Indigné, le Premier Ministre socialiste du royaume Pedro Sanchez dénonce « une attaque contre l’intégrité » de son pays. Les responsables de cette tragédie seraient les « mafias de passeurs qui se livret au trafic d’être humain ». Il déplore cet évènement, tenant à féliciter le « large dispositif de sécurité des forces marocaines, qui ont activement collaboré de façon coordonnée avec les forces de l’ordre » de l’enclave.

« C’est la politique de l’Union Européenne qui conduit à ces drames »

Pour le président d’Amnesty International France Jean-Claude Samouiller, s’il y a bien un responsable, ce sont les états-membres de l’UE. Pour lui, « on ne peut transiger avec le statut de réfugié », sans pour autant déterminer si ces milliers de jeunes hommes relevaient du droit d’asile.

L’ONG, qui lutte pour le droit des personnes déplacées dans le monde, porte un regard acerbe sur les mesures entreprises par l’Union Européenne dans la gestion de ses flux migratoires. Perchée du haut de son magistère moral, elle précise qu’ « en fermant ses frontières et en s’érigeant en forteresse » l’Europe « empêche les personnes qui ont droit à une protection de les faire valoir » qui elles-mêmes empruntent des « routes de plus en plus dangereuses ». En effet, on recense en moyenne 3000 décès dans la mer Méditerranée selon J-C Samouiller.

Critiquant de surcroit l’action des forces de l’ordre, il poursuit et « condamne l’utilisation disproportionnée de la force par les gendarmes » rappelant qu’il était impératif de respecter les « droits fondamentaux à ne pas être persécutés et violentés (…) C’est la politique de l’Union Européenne qui conduit à ces drames »

Un signal faible de ce qui adviendra ?

Selon un rapport émit par le Sommet hispano-marocain de Rabat, depuis 2021, le nombre de tentatives de migration illégale s’élève à 63 121 dont seulement 14 746 ont été déjouées. Les forces de secours marocaines ont quant à elle sauvé plus de 14 000 clandestins qui sombraient sur des embarcations médiocres dans le détroit de Gibraltar.

Pour la seule année 2021, les enclaves de Sebta et Melilla ont enregistré 49 assauts de clandestins, déterminés à franchir la frontière. Cet évènement n’est pas sans rappeler une précédente tentative d’ampleur de ces « harragas » (Grilleurs de frontières ndlr.) survenue en mai dernier. En l’espace de quelques heures, ce sont plus de 10 000 clandestins qui avaient envahi l’enclave de Ceuta sur fond de tensions diplomatiques entre les pays voisins.

Face à cette pression croissante, les partenariats entre le Maroc et l’Espagne auront vocation à se généraliser sur des thématiques cruciales pour les états : Intérêt des mineurs isolés, facilitation des formalités de visas, formation des agents du maintien de l’ordre, logistique de l’expulsion…

Dans un continent qui connaît l’acmé de sa transition démographique, l’accélération des flux de migrants que nous constatons, éberlués et estomaqués, n’est peut être qu’un avant-goût des futurs vagues à venir.

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