Macron : la dialectique du vide

De quoi Macron est-il le nom ? Tour à tour énarque, philosophe, startupper, la campagne de 2017 l’avait élevé au rang d’icône des médias. Cinq ans après, la mine grave, le voilà chef des armées et médiateur international au secours de l’Ukraine en détresse. Pas vraiment un candidat parmi d’autres mais toujours une énigme.

Pas de programme. Non, juste « quelques lignes programmatiques » et surtout « une vision », confie Roland Lescure, député LREM, dans le Figaro du 27 février dernier. Il y a pourtant une trentaine de groupes de travail mobilisés afin de faire émerger des propositions pour le futur candidat Macron, mais le journal est formel, ce n’est pas le plan. C’est une « figure gouvernementale » qui le confirme : « On a regardé les campagnes de réélection d’Obama et de Merkel. Vous souvenez-vous d’une seule mesure qu’ils aient annoncée dans ces campagnes ? Non. On va proposer aux Français ce qu’ils n’ont pas eu depuis Chirac 2002, et encore, après cohabitation : la stabilité ». C’est bien ça, la stabilité. Qui peut être contre ? Vous vous imaginez à votre prochaine réunion de famille affirmant :« je suis pour l’instabilité, le chaos, l’apocalypse » ?

En plus, ça tombe bien, la stabilité, c’est un peu la spécialité d’Emmanuel Macron. C’est quand même lui qui a failli déclencher une nouvelle révolution française avec les gilets jaunes. En décembre 2018, en plein crise, la presse avait révélé qu’un hélicoptère était prêt à exfiltrer Macron au cas où la populace aurait réclamé sa tête et tenté de s’emparer de l’Elysée comme les sans-culottes avaient pris la Bastille. Macron en hélicoptère, c’était le
remake de la fuite à Varennes. Aurait-il été déguisé en valet de chambre comme ce pauvre Louis XVI ? On ne le saura jamais. Revenons plutôt à la présidentielle. Pas de programme, donc, pour Macron. De toute façon, il
a autre chose à faire : l’Ukraine, Poutine, la guerre. Alors, ses communicants se sont plongés dans la bible macronienne parue en novembre 2016 et intitulée, de façon prémonitoire, « Révolution ».

Ils sont tombés sur le passage suivant : « C’est cette révolution démocratique que j’ai entrepris de dessiner dans les pages qui suivent. On n’y trouvera pas de programme, et aucune de ces milles propositions qui font ressembler notre vie politique à un catalogue d’espoirs déçus. Mais plutôt une vision, un récit, une volonté ». C’est ça, le plan, depuis le début. Pas de programme, mais « une vision ». La ligne à tenir. Une ligne … de fuite.

« Je ne serai jamais que l’ombre folle d’un inconnu qui garde ses secrets », écrivait le poète Jean Tardieu. Le jeune Macron avait joué un rôle, au lycée, dans une de ses pièces de théâtre sous l’œil maternel de Brigitte. Le titre ? « La comédie du langage. » Macron jouait le rôle d’un épouvantail. Comme quoi, dans la vie, tout est écrit d’avance.

Un « inconnu qui garde ses secrets ». Voilà qui sied à notre personnage qui a choisi une autre scène pour jouer la comédie. Car, tous s’y accordent, Macron, malgré cinq années d’observations et d’auscultations journalistiques, reste un mystère. « Le président de l’oxymore permanent, érigé en mode de gouvernement« , tentait Valeurs
actuelles en octobre 2019. « Oxymore », figure de style qui consiste à allier deux mots de sens contradictoires, nous dit le dictionnaire. Ce serait donc ça, Macron, une figure de style ? Faudrait-il donc se résigner à n’en point percer le mystère ?

Ne désespérons pas, Valeurs actuelles nous met sur une piste : le fameux « en même temps ». Car, il y a bien une possibilité dialectique de surmonter ces contraires apparemment irréconciliables pour aboutir à un ensemble cohérent. Cette synthèse qu’offre le macronisme, c’est le vide. Un vide stratégique et, en même temps, un vide clinique. Le vide stratégique, c’est celui du choix du non-programme. Surtout ne pas définir de plan rigide qui fossiliserait et engagerait sa parole et l’avenir. A l’inverse, adopter une « ligne de fuite » et sans cesse se dérober pour ne pas se dévoiler. Attendre et observer l’évolution du contexte. C’est la ruse, la mètis grecque dont parle François Jullien dans son traité de l’efficacité : « On la dit « ondoyante » et « bigarrée » : puisque les réalités qu’elle affecte sont le plus souvent travaillées par des forces contraires, elle se doit de rester polymorphe et mobile ; et pour avoir prise sur une situation constamment changeante, elle reste ouverte à tous les possibles et ne cesse de se transformer pour s’adapter ».

Raphaël Llorca dans « La marque Macron », parle de « stratégie du réceptacle vide » qui offre la possibilité d’être rempli de sens très différents. Ajoutons, au gré des publics et des circonstances. Llorca remarque également qu’« En Marche ! » est la promesse d’une dynamique mais sans jamais en préciser ni la destination, ni le but. Le vide clinique, c’est le vide narcissique de Macron. Celui du séducteur qui manipule en usant de cette « comédie du langage » qui suggère, laisse croire et reste toujours floue. La fameuse « pensée complexe » constellée de mots à double sens, d’informations contradictoires et de figures de style obscures. Macron est multiple, indéfini, l’un et l’autre en même temps. Il est le miroir que vous lui tendez et l’image que vous attendiez. En cela, il est le symptôme et le symbole de notre époque qui fabrique des Narcisses à la chaîne. Les écrans et les réseaux sociaux sont autant de miroirs où l’on s’affiche et se contemple dans une perpétuelle mise en scène de soi.

Chacun est sommé de prendre en main son « image » afin de développer son « personnal branding », sa marque personnelle. L’homme politique n’y échappe pas. Il n’est même plus une image mais une multitude de reflets et de messages se projetant vers autant de segments électoraux aux attentes diverses. Tout et son contraire, et même leur synthèse, si cela vous fait plaisir. La dialectique du vide.