Perspectives des migrations internationales 2021 de l’OCDE : un faux ou info ?
7 novembre 2021
L’organisation de coopération et de développement économique (OCDE) est, selon ses propres mots, « une organisation internationale qui œuvre pour la mise en place de politiques meilleures pour une vie meilleure« . Dans la mesure où cette institution internationale est donc contre l’injustice, la guerre et le malheur, on aurait tort de ne pas lui faire confiance.
Le rôle de l’OCDE est de solliciter les acteurs de la gouvernance internationale, de les influencer et d’établir des normes internationales à des fins de coopération. Il s’agit d’un organe consultatif. Pour se faire, elle s’appuie sur les travaux qu’elle réalise parmi lesquels figurent, chaque année, les « perspectives des migrations internationales » dont l’édition 2021 a beaucoup fait parler d’elle.
En cause une affirmation simple : les immigrés coûtent moins à l’État qu’ils n’y contribuent. Entre autres thématiques, l’institution internationale affirme que : « Dans les 25 pays de l’OCDE pour lesquels des données sont disponibles, en moyenne au cours de la période 2006-18, la contribution des immigrés sous la forme d’impôts et de cotisations a été supérieure aux dépenses publiques consacrées à leur protection sociale, leur santé, et leur éducation. De façon générale, la contribution des immigrés couvre entièrement leur part des dépenses publiques consacrées aux biens publics congestibles […] et finance en partie les biens publics purs, tels que la défense et les frais de la dette publique.«
L’OCDE sous-tend l’idée selon laquelle une immigration de masse est bénéfique, là où le principe de réalité nous amène, en France, à d’autres conclusions.
Paul Souchon
Une telle assertion soulève plusieurs questions : comment l’OCDE peut-elle conclure un tel principe général en comparant 25 pays aux physionomies différentes, aux politiques et histoires migratoires différentes, au statut international différent, aux systèmes fiscaux différents, aux histoires et cultures différentes, etc. En affirmant ainsi cette généralité sans tenir compte des subtilités civilisationnelles, l’OCDE sous-tend l’idée selon laquelle une immigration de masse est bénéfique, là où le principe de réalité nous amène, en France, à d’autres conclusions. Si le principe énoncé peut s’avérer exact selon un certain mode de calcul et de façon générale, il ne résiste pas à la spécificité de la question migratoire française et à l’appréhension de la question migratoire dans son ensemble.

Le premier coup d’œil jeté à l’étude permet de constater que la période étudiée est 2006-2018 alors que l’immigration en France n’a pas cessé d’augmenter en 2019 et en 2020. La population immigrée est passée de 6,579 millions en 2018 (soit 9,8% de la population) à 6,722 millions en 2019 (10% de la population) puis 6,831 millions en 2020 (soit 10,2%) de la population (on notera sur ce point une divergence de chiffres entre l’INSEE et l’OCDE qui présente, elle, un chiffre de 8,4 millions soit 13% de la population en 2020). Cette tendance à la hausse n’a pas cessé depuis 1946. Pourtant l’OCDE affirme, là encore de manière générale et péremptoire, que « avec 3,7 millions de personnes, l’immigration permanente dans les pays de l’OCDE en 2020 a connu son plus bas niveau depuis 2003« . Encore une fois, l’idée sous-jacente est frontalement opposée au principe de réalité pour ce qui concerne la France : l’immigration ne cesse d’augmenter.
Selon l’OCDE, dans tous les pays étudiés, la contribution des immigrés sous la forme d’impôts et de cotisations est supérieure aux dépenses que les pays consacrent à leur protection sociale, leur santé et leur éducation. Oui mais voilà, qu’en est-il en dehors de ces secteurs ? La question migratoire est-elle abordée par l’OCDE dans son ensemble ?
La question méthodologique
Contrairement au chiffre symbolique avancé par le rapport et repris en boucle par plusieurs médias (France info, France bleu, Le Point) les immigrés ne contribuent pas aux finances publiques à hauteur de 1,02% de PIB. L’étude de l’OCDE doit être abordée avec plus de discernement puisque celle-ci envisage plusieurs scénario dont l’un d’entre eux considère que les immigrés ne doivent pas contribuer au financement des biens publics (défense nationale, transports en commun etc. soit environ 40% des dépenses publiques) alors qu’ils en bénéficient et devraient donc les financer. C’est dans ce scénario uniquement que le chiffre de 1,02% du PIB est exact. Il ne reflète pourtant en rien la réalité.
Lorsque l’on s’intéresse au scénario prenant en compte les biens publics, la contribution des immigrés aux finances publiques devient négative (-0,85%). Dans ce scénario l’immigration coûte donc à la France 0,85% de son PIB. La réalité se rapproche à petits pas. Il semble d’autant plus important d’intégrer dans les calculs les biens publics congestibles (notamment police et justice) qu’un rapport du Sénat du 29 septembre 2021 met en avant le lien désormais incontestable entre immigration et délinquance. Le rapport affirme sans ambages : « Sur la délinquance liée aux jeunes en errance, le constat est sans appel : les infractions commises sont de plus en plus nombreuses, graves et violentes. S’il n’existe pas de statistiques nationales sur le sujet, les données locales recueillies par les rapporteurs sont singulièrement inquiétantes. La part des jeunes en errance sur le total des mis en cause a plus que doublé entre 2016 (3%) et 2020 (7%) sur le ressort de la préfecture de police de Paris et atteint un niveau similaire dans les Bouches du Rhône en 2020 (7,1%). »
Seuls sont pris en compte les immigrés résidents pendant au moins un an, ce qui exclut la plupart des demandeurs d’asile et clandestins, alors même que ces catégories représentent des coûts importants de prise en charge.
Paul Souchon
Au 1 octobre 2020, les étrangers représentaient 24% des détenus dans les établissements pénitentiaires français. Tout cela entraîne un certain coût. Ce coût, qu’il soit sciemment omis ou simplement relégué au second plan n’en demeure pas moins révélateur des précautions qu’il faut prendre quant à la lecture du document de l’OCDE et de la façon dont il nous informe sur la réalité. Ces précautions n’ont malheureusement pas été prises par de nombreux médias français, qui, par complaisance idéologique, se sont contentés de réitérer sans nuances le principe d’une immigration bénéfique sur les finances publiques.
Plus proche encore de la réalité, mais plus éloigné des conclusions qui en sont tirées à l’emporte-pièce, le scénario intégrant la dimension générationnelle donne le chiffre de 1,41% du PIB. Lorsque l’on prend en compte leurs enfants, les immigrés coûtent ainsi 1,41% de son PIB à la France, soit environ, pour 2018, 33 milliards d’euros. La conclusion selon laquelle les immigrés coûtent moins à l’Etat qu’ils ne lui rapportent doit donc, pour le moins, être tempérée.

D’autres lacunes de cette étude doivent être soulignées pour que cette dernière ne soit pas considérée par tel ou tel appareil politique comme étant parole d’Evangile : seuls sont pris en compte les immigrés résidents pendant au moins un an, ce qui exclut la plupart des demandeurs d’asile et clandestins, alors même que ces catégories représentent des coûts importants de prise en charge. On constate une répartition insuffisante des dépenses publiques entre population immigrée et population native, notamment sur certains postes qui feraient contribuer négativement les immigrés (police, justice etc.). Cette étude de l’OCDE, en adoptant de tels choix méthodologiques minore donc le coût réel de l’immigration sur les finances publiques9.
En outre, elle ne se concentre que sur le lien entre immigrés étrangers et coûts entraînés alors même qu’un immigré devenu français « de papier » reste immigré. L’acquisition de la nationalité le fait sortir des statistiques mais ne diminue pas les coûts qu’il génère. Le champ de l’étude peut ainsi être interrogé, d’autre part, puisque cette dernière se concentre sur les coûts dus à l’immigration régulière alors même que l’immigration irrégulière et la fraude liée à l’immigration sont également des charges plus que conséquentes pour l’Etat.
L’immigration clandestine et la fraude mises de côté
Il y a entre 300 000 et 1 500 000 immigrés clandestins hors MNA sur le territoire français avec une croissance exponentielle. Cela entraîne un coût carcéral, coût judiciaire, des coûts des reconduites, etc. Or l’impact de l’immigration clandestine sur les finances publiques, pour ce qu’il a de conséquent, n’est pas pris en compte dans le travail réalisé par l’OCDE.
Il en va ainsi, d’une part, des activité illégales liées à l’immigration clandestine, telles que la fraude sociale, fraude dans les transports (notamment en île de France : 2,5 milliards par an), la contrefaçon (2,2 milliards), la prostitution (1,4 milliards) mais également d’éléments institutionnels tels que l’aide publique au développement à destination des pays d’origine ou encore l’Aide Médicale d’État (AME).
Si l’OCDE n’évoque pas l’AME, c’est en raison de la situation irrégulière des bénéficiaires.
Paul Souchon
L’AME a été instaurée le 1 janvier 2000 pour assurer la protection de santé des personnes étrangères vivant en France en situation irrégulière vis-à-vis du droit au séjour. On distingue l’AME de droit commun, des soins urgents, et d’autres dispositifs recouverts par l’AME tels que l’AME dite « humanitaire » et l’aide médicale pour les personnes gardées à vue. Depuis 2003 le nombre de bénéficiaires de l’AME a plus que doublé (180.415 au 31/12/2003 contre 382.899 au 31/12/2020 (50.000 de plus qu’en 2019)). Le projet de loi de finances pour 2022 prévoit de consacrer à l’AME un budget de 1,079 milliards d’euros, soit une augmentation de 2,09% par rapport au budget octroyé pour l’année 2021. Ces éléments, outre le fait qu’ils ne sont pas pris en compte dans l’étude de l’OCDE, et la dynamique d’augmentation qu’ils reflètent, viennent quelque peu ternir l’idée selon laquelle la crise du Covid 19 aurait entraîné un ralentissement des flux migratoires.
Si l’OCDE n’évoque pas l’AME, c’est en raison de la situation irrégulière de ses bénéficiaires, l’étude se concentrant sur les éléments chiffrés de l’immigration régulière. Il n’en reste pas moins qu’encore une fois la méthodologie retenue ne reflète que partiellement la réalité et doit être appréhendée avec précaution.
Il en va de même en ce qui concerne la fraude. Si elle n’est pas évoquée dans l’étude de l’OCDE elle n’en demeure pas moins réelle. Le magistrat Charles Prats, auteur de l’ouvrage Le cartel des fraudes, explique la part conséquente de la fraude sociale en lien direct avec l’immigration. Son étude des chiffres de la Cour des comptes amène à la conclusion que 80% des gens nés à l’étranger qui sont sur le territoire français seraient des retraités, ce qui n’est, dans les faits, évidemment pas le cas et s’avère être un indicateur de fraude. Au début de son enquête, il constate qu’avec 8,2 millions de personnes nées à l’étranger présentes sur le territoire national, il y a pourtant 12,4 millions de personnes nées à l’étranger qui bénéficieraient de prestations sociales françaises. Les révélations s’enchaînent ainsi, de même que les différents types de fraude, et les chiffres augmentent au fil de l’enquête pour conclure à « enjeu de fraude » de 50 milliards d’euros. Ce chiffre n’est évidemment pas pris en compte par l’OCDE.
Sur la forme il est étonnant qu’autant de crédit soit accordé à une étude réalisée par une institution ouvertement favorable à l’immigration telle que l’OCDE.
Sur le fond les études sur l’immigration doivent toujours être appréhendées avec beaucoup de prudence et ne pas servir de support à telle ou telle position politique en raison de leur complexité et de leurs lacunes communes. L’absence de vision dynamique du phénomène avec la prise en compte du cycle de vie des immigrés, l’aspect ancien de certaines données dû à la difficulté de collecte, et la fiabilité parfois discutable des données peuvent conduire les auteurs à des conclusions hâtives et parfois incertaines voir erronées.
Il ne faut pas occulter le fait que les prévisions « pessimistes » de l’OCDE elle-même reconnaissent un impact budgétaire de l’immigration sur l’état pouvant se chiffrer à un déficit d’environ 12 milliards d’euros pour la France, ce qui est non négligeable et ne tient pas compte, encore une fois, de l’immigration clandestine et de la fraude développées ci-dessus.
Les conclusions des études relatives au coût de l’immigration pour les finances publiques varient entre 1,4 et 40 milliards d’euros par an, ces variations dépendant essentiellement des choix méthodologiques retenus, tant en termes de populations que de périmètre financier. Une analyse de Jean Paul Gourévitch de 2017 avance le chiffre de 17,7 milliards d’euros. Elle prend en compte les immigrés et leurs descendants, la surreprésentation ou sous-représentation des immigrés dans certains postes, le taux de chômage, le différentiel de revenus, le coût des structures, les coûts sécuritaires, les coûts sociétaux, les prestations familiales, l’éducation, la politique de la ville, etc. Ce chiffre, affirme Jean Paul Gourévitch, est aujourd’hui dépassé tant en raison de l’augmentation du nombre d’immigrés légaux et irréguliers, que de l’arrivée massive des MNA, de l’explosion des dépenses sociales, sociétales et sécuritaires, des modifications de la courbe du chômage et de la prolifération de la fraude dans toutes ses dimensions. Ces éléments conduisent à penser qu’aucune étude sérieuse ne peut affirmer de façon péremptoire que les immigrés rapportent davantage à l’Etat que ce qu’ils ne lui coûtent.
Pour conclure, citons l’OCDE elle-même qui affirmait en 2013 que « l’impact fiscal de l’immigration ne peut se résumer à un chiffre unique et indiscutable« , ni plus, peut-on en déduire, qu’à une affirmation unique et indiscutable selon laquelle l’immigration aurait un impact positif sur les finances publiques. Dont acte.
Paul Souchon
Erik Tegner
Directeur de la rédaction