Je m’installe sous la tente du stand de SOS Racisme. Quelques rangées de chaises sont orientées vers une petite estrade sur laquelle siège Dominique Sopo, le président de l'association, ainsi que trois porte-paroles. Derrière moi, un bar, une table jonchée de tracts et d’autocollants « Touche pas à mon pote » qui évoque une époque révolue. Les intervenants présentent l'intitulé de la table ronde : « Face à l'extrême droite, mener la contre-offensive ».
L’éternelle stratégie de la diabolisation
Dominique Sopo déroule son introduction avec aisance et passe la parole à un militant qui avait participé au happening lors du meeting d’Eric Zemmour à Villepinte en décembre 2021, Julien. Le jeune homme aux longs cheveux noirs nous conte l’action de son association lors de l’événement. Avec une dizaine de camarades, le militant avait infiltré le meeting et affiché le message « non au racisme », chaque militant portant une des lettres du message sur son T-shirt. Le groupe s’était fait agresser physiquement par des militants présents au meeting. « On était presque soulagés de se faire casser la gueule » entame Julien avec air grave. « On attendait même de se faire casser la gueule, parce que la violence physique n’était rien face à la violence symbolique des propos que nous avons entendus ce soir-là » continue-t-il avec un air de martyr.
Les invectives ont par la suite plu sur « l’extrême droite » et le Rassemblement National, le « parti du crime historiquement et même ontologiquement » d’après Dominique Sopo. Désiré, un militant de SOS Racisme qui réside à Rouen, a déploré le fait que l’extrême droite avait pris le terrain dans sa ville, en multipliant des collages de stickers, « une façon de marquer son territoire comme un chien qui va pisser sur un arbre ». Des pratiques qui contraignent les militants de l'association à décoller les autocollants de l’extrême droite ou à coller les leurs par-dessus… La militante Safia, étudiante en sociologie à Nanterre, compare les groupuscules d’ultra-droite et les partis politiques : « l’extrême droite fasciste, c'est la deuxième face d’une même pièce qui est l’extrême droite politique ». L’amalgame n’est pas neuf à gauche, en témoigne l’article de Libération au sujet de la newsletter « Frontal ».
Je demande aux militants s’ils sont prêts à débattre avec l’extrême droite pour la contrer de manière civilisée. « Débattre avec le parti du crime » reprend Safia, « je pourrais le faire dans un contexte très spécifique, sur une chaîne du service public où nous serions invités à démonter l’extrême droite, pas autrement ». Julien critique quant à lui la démarche du journaliste Hugo Clément, qui s’était rendu à un événement organisé par Valeurs Actuelles en avril 2023 pour débattre avec Jordan Bardella au sujet de l’écologie. « Jamais l’extrême droite ne se souciera de l’environnement parce que ces gens n’ont pas peur de voir mourir la moitié de l’humanité » affirme le jeune militant avec fermeté.
SOS Racisme victime d’insécurité culturelle
La diabolisation est d’autant plus virulente que les militants de SOS Racisme admettent avoir perdu l’hégémonie culturelle. L’étudiante à Nanterre, une université « mouvementiste, marquée à gauche » doit maintenant se résigner à voir des syndicats étudiants marqués à droite « tracter dans sa fac ». « La gauche régresse, nous perdons du pouvoir » renchérit une porte-parole élève à Paris I.
Face à cette perte de vitesse, les militants se posent enfin une question essentielle, par la voix de Dominique Sopo : « qu’avons-nous à proposer ? ». Le président de l'association le reconnaît : « Dans les cercles militants, on peut se gargariser entre nous, on se dit qu’on est meilleurs que les autres, ce qui est vrai, incontestablement ». Mais les intervenants peinent à définir le projet de société positif de la gauche, au-delà d’une attitude d’antagoniste face à l’extrême droite : « nous menons un combat qui inclue les notions de vie et de mort et nous sommes du côté de la vie » conclut très sérieusement Safia. Au-delà de l’opposition binaire et de la posture antifasciste, SOS Racisme a manifestement peu d’idées à proposer…
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