Tribune

Suicide dans la police : quel soutien aux forces de l’ordre ?

26 février 2022
Crédits photo : Rama / Wikimedia Creative Commons
Temps de lecture : 5 minutes

Les forces de l’ordre donnent parfois leur vie, trop souvent ils se donnent la mort. Depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron, plus de 150 policiers se sont suicidés. Conditions de travail, misère humaine ou injustice de l’institution, mener un travail critique est nécessaire pour que cesse enfin ce fléau.

Le 23 janvier 2022, le brigadier Pierre, 22 ans, risquait sa vie dans les cités du nord de Marseille pour la paix et la santé des Marseillais. Le 24 janvier, Pierre s’est donné la mort avec son arme de service. Le 17 janvier 2022, le brigadier-chef Renaud servait dans la brigade spécialisée de terrain de Strasbourg, alors que Julien embrassait ses deux enfants avant de partir travailler pour la police nationale de Lille. Le 18 janvier, Renaud et Julien se sont donnés la mort.

La fonction de policier mérite le respect de tous

« La fonction de policier comporte des devoirs et implique des risques et des sujétions qui méritent le respect et la considération de tous ». (Art. R. 434-28 du Code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale) La nation française porte votre deuil. Vous êtes les victimes d’une double-attaque : une partie de la société veut votre peau quand votre institution vous délaisse. Rapidement, la tristesse et la honte doit laisser place aux tentatives de compréhension et à la riposte politique. Le « soutien inconditionnel aux forces de l’ordre » est-il une réaction à la hauteur des drames ? A contrario, ne serait-ce pas un soutien « conditionnel » qui permettrait d’endiguer les attaques que policiers et gendarmes subissent tous les jours ?

À partir de la Révolution Française, deux craintes politiques quant au maintien de l’ordre sur le territoire national vont cohabiter : l’utilisation des forces de l’ordre contre le peuple et le revirement de ceux-ci contre le pouvoir en place. Les puissances successivement aux responsabilités vont user de la force pour répondre à la violence de la société en arguant de la défense du bien commun et de l’intérêt national. La persécution des révoltes vendéennes par les armées républicaines en 1793, la Terreur Fructidorienne sous le Directoire, la répression des journées de juin 1848 ou l’écrasement de la Commune de Paris par les Versaillais en 1871 seront parés de toutes les vertus ou de tous les vices selon que l’on se place d’un côté ou de l’autre des mémoires politiques. L’essentiel tient en une idée : le pouvoir défend ses intérêts et il utilise les moyens nécessaires pour conserver l’ordre, son ordre. Plus la tension entre l’État et la population grandit, plus la violence qui s’exerce s’accroit.

La police au service des Français

Dès lors que l’on postule que le fonctionnement ordinaire d’un état est la conservation de son pouvoir, il n’est pas nécessaire de s’indigner devant le traitement des Gilets Jaunes, inutile d’attendre de l’État actuel qu’il « protège nos libertés » ou d’Emmanuel Macron qu’il « crée les conditions du jeu démocratique ». Le philosophe d’extrême gauche Jacques Rancière distinguait l’opposition de deux processus hétérogènes : la police, dont l’État a le monopole et qui traduit l’ordre naturel de la domination du pouvoir, et la politique qui apparait lorsqu’une certaine partie du peuple surgit dans l’espace dominé par l’État. Loin de s’arrêter à cette critique qui mène naturellement à l’abolition de la police, la réalité impose de penser le maintien de l’ordre dans la nuance.

Le 19 mars 2021, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin déclare à Ecully (69) : « La police n’est ni au service du gouvernement, ni des citoyens, mais de l’État. ». Au contraire, si la police est « au service des institutions républicaines », elle sert également « la population ». Si elle est chargée « d’assurer la défense des institutions », elle est tout aussi chargée de la défense « des intérêts nationaux ». (Art. R. 434-2 du Code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale).  Elle n’est ni un pare-feu contre les revendications politiques, ni un moyen d’intimider une partie de la population, ni un instrument du pouvoir chargé de dissimuler son incompétence. De vives tensions étaient apparues au sein des services de police et de gendarmerie suite à la gestion policière des manifestations des gilets jaunes. Les spécialistes du maintien de l’ordre s’étaient insurgés des ordres des préfets et de l’utilisation des Brigades Anti-Criminalités. En mars 2020, Médiapart avait fait fuiter une note émise par les plus hauts gradés des CRS et de la Gendarmerie Mobile. Ils critiquaient des pratiques « légalement douteuses et aux conséquences politiquement néfastes ». Parmi les documents publiés, une note datant de septembre 2019 ne dissimulait pas les volontés du pouvoir : « impacter les groupes » et « aller au contact ».

Plus que jamais, l’emploi politique que le pouvoir fait des forces de l’ordre doit être contestée. La réalité du pays exige une police efficace et pleinement consacrée à l’insécurité grimpante. Les policiers doivent être auprès des personnes âgées cambriolées, des femmes agressées, des français épuisés. La société doit être assurée qu’ils s’occuperont des délinquants, des meurtriers, des voleurs, des racketteurs, des violeurs et des escrocs. Cédric Jimenez a parfaitement retranscrit cet état de fait dans Bac Nord : l’injustice de l’institution, l’inconséquence de ses décisions, la pusillanimité de ses cadres et, en surplomb, la lâcheté du politique.

L’utilisation politique des policiers est dénoncée à la marge, par des syndicats minoritaires davantage préoccupés par Pierre, Renaud et Julien que par la réputation de l’institution. Alexandre Langlois représentait l’un d’entre eux, Vigi, avant de quitter la Police Nationale considérant que « les missions de la police ont basculé sur un contrôle social ». Cette posture incarne l’humanité que nécessite une critique humaine et constructive de la police. Elle prend en considération les hommes et les femmes qui consacrent leur vie pour une institution souvent ingrate. Lorsque Aurélia, jeune policière de 27 ans, s’est suicidée le 6 septembre, elle a laissé dans son testament : « Ils diront que ce sont mes problèmes personnels, mais ce qui m’a fait sombrer c’est la hiérarchie, l’absence totale de soutien et le plaisir de m’enfoncer encore plus. ».

L’ordre n’a de sens que lorsqu’il est au service du petit. Le soutien aux forces de l’ordre sera conditionnel tant que l’institution policière, utilisée par le politique, demeurera faible avec les forts et forte avec les faibles. Le soutien à Pierre, Julien, Renaud, Aurélia et tous leurs collègues est inconditionnel car ils sont parmi les petits que l’institution n’a pas su protéger.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *